La bataille du champ

29/05 2018

L’installation d’une exploitation agricole est un long processus, chaque installation est unique, mais les gens qui s’installent hors cadre familial, qui créent une ferme sans avoir de terres, connaissent tous cette étape compliquée : trouver l’endroit.

L’endroit où l’on va passer ses journées, mettre toute son energie à imaginer, à modifier, à planter, à embellir, à améliorer le sol, à projeter ses envies et ses espoirs : l’endroit où l’on va jardiner. Créé un jardin est une experience unique, elle s’inscrit dans le temps et l’espace.

Trouver son jardin est un des moments les plus important et les plus enthousiasmant.

Accessoirement, il peut parfois se transformer en parcours du combattant…

Début 2017, après 7 années de loyaux service dans le secteur de l’informatique industrielle, je quitte mon travail pour venir m’installer avec Claire à la campagne. Sans projet. C’est un peu périlleux, il y a 6 mois en arrière, nous n’imaginions pas quitter Toulouse, trop attachés aux avantages de la vie en ville, les cinémas, les concerts, les sorties, les musées (haa les musées..), les petites terrasses de café, les compagnons de luttes, les projets dans tous les sens. Peut être un trop plein de bruit, de pollution, de foule, trop de politiques malsaines, la disparition des petits commerces au profit des grands magasins, une perte d’identité, un changement dans l’air. Et puis une possibilité de venir s’installer ici, dans la montagne. Environ 5 secondes d’hésitation partagée à deux ont fait basculer notre histoire. Nous voilà, néo ruraux , des péluts !

Dès notre arrivée, nous avons passé beaucoup de temps au potager, un petit jardin prêté par des gens adorables du village. On y fait nos premières expériences de jardinage, et le plaisir est immédiat, on apprend tous les jours, et pour moi naît le besoin de céder à cette attirance qu’exercent sur moi depuis longtemps les plantes médicinales. 

Alors fin 2017, je commence à dessiner mon projet de culture de plantes aromatiques et médicinales. Pour commencer l’aventure, il fallait un terrain assez grand pour y envisager une production importante. 

Chercher un terrain

J’ai donc commencé à regarder les cartes du coin, à étudier le cadastre (d’abord sur l’horrible www.cadastre.gouv.fr avant de découvrir l’outil magique www.geoportail.gouv.fr) à visiter un grand nombre de parcelles à pied, à me projeter dans différents endroits.

Le quotidien du jeune agriculteur : le cadastre !

En discutant, en faisant le tour du village et des environs, j’ai trouvé plusieurs jardins ou parcelles à l’abandon, des terres potagères qui ne sont plus exploitées depuis plusieurs années, bien positionnées, avec un bon potentiel, mais les propriétaires ne sont plus là, ou ils sont agés, et la nature reprend ses droits petits à petit. Pour les gens du village, c’est triste de voir ces parcelles se refermer, alors soutenu par certains habitant nostalgiques, l’idée de faire revivre tel ou tel jardin animait mon projet régulièrement.

Chaque fois, la liste des qualités et des défauts, sur l’accessibilité, la présence d’eau, la qualité du sol etc. rendaient chaque possibilité unique et différente. Il faut beaucoup d’énergie pour se projeter dans toutes ces possibilités, et les explorer toutes en parallèles. J’ai souvent oscillé à ce moment là entre deux philosophies : garder de la distance avec chaque idée envisagée, pour se préserver des déceptions qui sont fatiguantes, ou mettre toute mon énergie sur l’option préférée pour faire basculer la balance. J’ai tenté de trouver l’équilibre entre les deux façons de penser.

Rapidement, il faut trouver à qui appartiennent les parcelles, toujours très découpées et donc avec plusieurs propriétaires, dont beaucoup vivent ailleurs, sont absents, injoignables. Parfois le cadastre n’est pas à jour, des gens ignorent qu’un terrain leur appartient, ou ne leur appartient plus, ou que la limite est ici ou là… un vrai casse tête !

J’ai passé plusieurs semaines à tenter de convaincre des propriétaires de me louer des parcelles pour y commencer mon projet. J’ai expliqué pourquoi et comment, j’y suis allé avec un super dossier de présentation détaillant les différents aspects du métier et de mon projet, ça a plu à tout le monde, les gens étaient enthousiastes, et puis non, impossible de réunir assez de réponses positives pour avoir quelques parcelles attenantes. J’ai eu des réponses très positives mais surtout des non réponses : « alors oui mais faut voir » ou « d’accord mais juste un an », ou « oui mais pas de suite ». Et puis quelques refus, certains voulaient faire un potager, ou un verger collaboratif, là où rien n’avait était envisagé depuis des années.

Sur le moment j’ai été déçu de ces réactions mais j’ai vite revu ma façon de penser. Les gens tiennent à ces terrains familiaux, ils n’ont pas franchement envie de les voir accaparer par des gens qui débarquent et qu’ils ne connaissent pas, et veulent pouvoir les exploiter plus tard s’ils ont envie. Ces terrains sont les leurs et il est parfaitement légitime de dire « non sans façon », même sans raison.
Bon au fond j’aurais quand même sincèrement aimé que les projets de potagers et les vergers viennent effectivement faire revivre ces parcelles, car elle restent encore aujourd’hui abandonnées.

Et voilà comment les différentes idées se sont évaporées les unes après les autres.

Trouver un terrain

Mon meilleur des plans était de procéder en deux temps, sur des terrains de part et d’autres de la rivière : des anciens jardins attenants d’un coté, et un terrain beaucoup plus grand de l’autre. Le grand terrain était largement suffisant mais contrairement aux jardins, beaucoup moins facile à travailler. Utilisé en prairie pour des chevaux, le sol est brouté, tassé, et sans culture depuis au moins 40 ans. Alors que les jardins ont une terre limoneuse plus aérée, plus riche, un peu plus à l’ombre et semblaient parfait pour commencer petit, et enchaîner les engrais verts de l’autre coté de la rivière pour améliorer la structure et les qualités du sol.

Les grand terrains appartiennent en grande partie à la commune, qui avait la volonté de voir s’installer un agriculteur sur ces parcelles et qui me suivait dans le projet, alors cela s’est fait naturellement.

Mais les refus successifs pour les jardins m’ont forcé à commencer directement sur le grand terrain…

Mais heu… c’est super grand, y’a rien et c’est tout tassé !

Alors je me suis inspiré de ce que j’ai appris de mes lectures et de mes rencontres : j’ai pris le temps d’observer le terrain, de le parcourir et de le regarder sous toutes les coutures, à différents moments de la journée. Il faudrait le faire encore et encore, et toujours plus. Certains disent qu’il faut observer pendant un an, souvent ça me fait un peu rire, ne rien faire pendant un an, qui à la luxe de pouvoir faire ça ? Pourtant si c’était possible, ce serait vraiment un bon conseil : si j’avais pu voir le soleil évoluer sur les parcelles au fil des saisons, je n’aurais peut être pas couper cet arbre qui semblait gêner. Si j’avais pu voir la pluie torrentielle du mois d’avril s’abattre sur la colline et déverser un torrent de boue vers le bas du terrain, je n’y aurais pas planter toutes mes sauges 😀 

Mais bon, je crois qu’on apprend autant en faisant. Au pire on y perd un peu d’énergie, mais de toute façon je n’avais pas la patience pour attendre. Mais surtout, le travail me semblait titanesque pour commencer à cultiver ici… Avec juste une grelinette, une pelle et une pioche, je me suis senti un peu seul ! 

“A vu d’oeil il doit y avoir 12 hectares!”

Mais bon les dès sont jetés, le terrain est beau, il est à 10 minutes à pied du village mais très isolé.

Il est assez grand (environ 6000m2) pour commencer une belle exploitation, et le fait que tout soit à créer est à la fois un peu inquiétant et motivant.

Maintenant, place aux chantiers successifs nécessaires pour bien s’installer : un premier griffage du sol, des semis d’engrais verts, la pose d’une clôture, des chantiers avec les copains…

Que du bonheur, car nous avons un terrain !

 

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