Les gens ne l’achèteraient pas
Fixer des prix, ça se fait en fonction de ce que l’on estime pouvoir produire, des investissements que ça représente, du temps de travail un peu, et malheureusement beaucoup de ce qu’on observe autour de soi. Une remarque systématique chez les producteurs de plantes, c’est de dire « oui c’est ça que ça devrait coûter.. mais à ce prix là.. les gens ne l’achèteraient pas ». Cette phrase est terrible, et condamne à faire un choix : perdre en qualité, se sacrifier en partie ou cesser de produire. Trois options qui n’en sont pas lorsqu’on milite pour le développement d’une agriculture paysanne.
En fait, on a tous envie que nos prix soient le plus accessible possible. Parce que l’objectif d’un paysan c’est de faire un produit de qualité et de pouvoir le proposer localement au prix qui convient au plus grand nombre. Pas d’en faire un produit de luxe ou de « surfer sur la vague du bio » (oui on entend de tout).
L’objectif, c’est avant tout d’équilibrer sa ferme, de gagner en autonomie et lorsque ça fonctionne, pas besoin d’en faire plus. Au delà, c’est le temps qu’on donne aux autres, le temps associatif, le temps militant, et le temps de vivre. On mène des vies peu dépensières, on se satisfait de choses simples. En herboristerie, on sait qu’on ne compte pas nos heures, on sait que c’est beaucoup de travail et des petits chiffres d’affaires. Cet état d’esprit résiste d’ailleurs assez bien à l’analyse, au point qu’une étude économique de France Agrimer qualifiait en 2018 les paysans herboristes de « gagne-petit » (1).
Cette étude de FRANCE-AGRIMER propose un tour d’horizon des diverses réalités des métiers de producteurs, et d’herboristes. C’est à mon avis un document de grande valeur pour en comprendre les spécificités, les enjeux économiques et sociaux.
Je me souviens du mécontentement et de la colère outrée de certaines productrices et producteurs, lors de l’AG des simples en 2019, à la lecture de ce chapitre III A p.53 intitulé « Une économie du gagne-petit ». L’impression d’être moqués, déconsidérés. Pourtant, malgré ce titre désagréable, la réalité est bien là : certains producteurs se contraignent eux même à vendre à des prix qu’ils considèrent totalement sous estimés.
« C’est impossible à ces tarifs-là. Le temps que vous mettez pour ramasser ce thym, le tamiser plusieurs fois, tout ça pour 3 ou 4 €, ce n’est pas possible. C’est fou.«
Extrait de l’étude France-Agrimer
Bien sur, cette vie simple nous la choisissons par passion, par conviction. Dans la plupart des cas, la situation n’est pas subie, parce que nous aimons ce que nous faisons. Je rassure mon entourage et moi même, oui je travaille parfois 300h par mois, mais tellement d’heures pieds nus à récolter des fleurs, à me promener en montagne pour cueillir, à découvrir ou à apprendre. C’est un métier merveilleux.
Quand on a dit ça, reste la réalité, les charges de l’entreprise, les besoins faibles mais réels du foyer. Reste les temps pas drôles, le travail de gestion, le bureau, la compta, et tout ça n’est pas anecdotique.
Finalement, considérer qu’on est « toujours en vacances » pour accepter qu’on est payé 2 fois moins pour travailler 2 fois plus, c’est parfois une bonne excuse pour ne pas regarder la réalité en face : nombreux sont ceux qui bouclent chichement les mois au RSA ou à la prime d’activité.
Donc on en est là, dans cette économie joyeuse où le prix d’une tisane paysanne produite biologiquement avec soin, dans le respect de la nature et du consommateur, dans l’apprentissage constant et le partage de savoirs faire ancestraux, dans l’exercice d’un métier complexe à bien des égards, ne pourrait pas dépasser le montant d’un coca en terrasse, sous prétexte que « les gens ne l’achèteront pas ».
Voilà…! Dans ce contexte de réflexion, je me pencherai demain sur mon cas personnel en vous expliquant comment j’ai réussi à passer à coté de tout ce dont je viens de parler dans ces 3 articles…
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