Pour conclure ces réflexions sur les tarifs et les produits paysans, je me penche en quelque sorte sur mon cas…
Faites ce que je dis pas ce que je fais, bienvenue au club et suivez mon regard
Toutes ces questions m’animent depuis le début. J’en parle souvent, j’essaye de travailler autour de moi pour faire réfléchir et travailler collectivement sur ces sujets, j’en parle avec mes clients, mes collègues, mes amis…
Malgré ça je me suis quand même trompé. J’ai fait pleins d’erreurs. J’ai mal calculé, oublié des choses, trop “tiré vers le bas”, oublié des taxes, j’ai fait presque toutes les erreurs possibles. Malgré mes efforts j’ai été victime d’un effet d’ancrage en regardant des prix pratiqués autour de moi, en voulant faire au plus abordable, en ménageant la chèvre et le chou.
L’effet d’ancrage est un biais cognitif qui contraint nos prises de décision à une information reçue en amont de la réflexion. Voir cette vidéo, sur cette excellente chaîne Youtube, qui présente ce drôle de mécanisme utile à connaître.
Bien sûr, c’est plus compliqué qu’une erreur de jugement. On s’inscrit dans un marché, il y a des collègues qui proposent déjà des plantes, et on regarde forcément les tarifs autour de soi. Et il y a la perception des consommateurs, ceux qui n’ont pas trop l’habitude de boire des plantes en infusion, qui ont l’habitude du tarif de la plante importée, plantée à la planteuse, récoltée à la récolteuse, ensachée à l’ensacheuse. Et puis il faut bien trouver l’équilibre entre les idéaux et les pouvoirs d’achats !
Il faut aussi trouver l’équilibre pour soi, mais ça je l’ai oublié. On peut faire un calcul, se rendre compte qu’on n’y est pas, puis décider de ne pas suivre le résultat, fermer les yeux pendant un temps.
Désormais j’ai un peu plus de recul, un peu plus d’assurance peut être, et c’est plus facile de reconsidérer les choses sous un prisme plus logique. J’ai entendu dire un jour “Bon la vie est dure, cette année, j’augmente mes tarifs ! Mais bon, ça fait 10 ans que je dis ça, et je les change jamais…”. Moi aussi je préférerai ne pas avoir à changer quoi que ce soit. Mais finalement la nécessité de faire cet effort inconfortable tient aux nombreuses raisons que l’on a vu.
Au cœur de l’hiver, propice aux analyses, aux réflexions, je réalise que pour garder la même qualité, la même attention, continuer à produire dans les mêmes conditions, et garder le plaisir de produire chaque sachet, je dois revoir mes tarifs.
Je me trouve face à ce choix et à cet équilibre subtil à trouver entre mes valeurs paysannes, la valeur que je donne à mon travail, et à mon cadre de vie. En étudiant toutes les possibilités, je me fixe des limites : non seulement je ne ferais pas baisser la qualité de mon travail, mais je veux chercher à m’améliorer sous tous les aspects, en terme agronomique, en terme d’accueil sur la ferme, en connaissances sur les plantes, sur la finesse des produits, sur leur disponibilité, sur l’élargissement de la gamme. C’est ce qui fait le sens de mon métier.
Mon engagement, c’est de fixer les prix avec toute la cohérence que j’ai exprimée ici, et de toujours limiter mes coûts de production à ce qui est nécessaire : faire de la qualité, poursuivre mes valeurs mais faire toujours simple. Et chercher à vous proposer mes plantes au plus juste prix, pour vous et pour moi.
En boutique
De mon point de vue, le travail de commerçant a une véritable valeur : il sélectionne, informe, propose une diversité de produits, gère un stock. Pour moi, c’est normal que le produit soit plus cher chez lui, le commerçant y apporte sa valeur.
Mais en réalité ça ne fonctionne pas comme ça. Concrètement, certains professionnels veulent proposer mes produits chez eux, au même prix que moi sur le marché du vendredi, mais en faisant une marge de 40 ou 50% dessus… Ce qui signifie que je devrais soit perdre la moitié de la valeur de mon produit, que j’essaye pourtant de vendre au prix juste, soit multiplier son prix par deux pour pouvoir faire une réduction dessus. Les deux solutions me paraissent un peu injustes !
Bien sur un professionnel achète souvent beaucoup de stock, donc il y a des réductions, mais de là à ne pas se payer à la fin…
Dans notre petite vallée, éloignée de tout, je dois pouvoir compter sur des professionnels pour proposer mes plantes largement autour de moi, les apporter en ville là où j’aime penser qu’elles ont quelque chose à apporter, de réconfort, de contact avec la nature.
Alors là aussi, il a fallu trouver un équilibre entre mon prix public et le prix boutique. Je pourrais appliquer une réduction honnête de 25% aux professionnels sur mes prix de vente, comme dans la plupart de mes boutiques de producteurs. Au delà, le prix de vente en boutique devra être un peu augmenté pour que la marge du revendeur augmente.
En conclusion
Chaque territoire est différent, chaque projet est différent, les personnes, les charges, les investissements, les méthodes de production, l’engagement global de la ferme, les familles ne sont pas les mêmes. Mes collègues proposent des plantes à des tarifs divers, qui reflètent leur vision, leur réalité et leurs engagements. Relativisons tout : on peut privilégier un tarif très abordable sans mettre sa ferme en péril, ou des tarifs plus élevés qui ne doivent pas pour autant faire peser de doutes sur le respect du consommateur et sur la justesse du prix. De nombreux facteurs sont en jeu, on aura pu voir que le sujet est complexe, et en ce qui me concerne s’il y a bien un sujet délicat c’est celui-ci.
En tant que consommateur, cela m’intéresse et me réjouit de comprendre comment fonctionne un système. J’aime en découvrir les différents aspects, je suis curieux de nature et je trouve vertueux d’analyser le métier des gens autour de moi et leurs activités.
Alors j’émets le souhait d’arriver à vous montrer et vous expliquer toujours mieux comment pensent et fonctionnent les petites feuilles. Sur les prix, comme sur tout le reste, je resterai attentif et vigilant à vos remarques pour continuer à répondre à vos attentes de qualité et d’exigences de mon mieux et en toute transparence !
Je vous remercie pour ces 4 articles sur ce sujet délicat et ô combien complexe. Personnellement, cette augmentation tarifaire ne me choque pas et je continuerai à acheter et consommer vos merveilleuses infusions. Je ne mesure certainement pas totalement l’ampleur du travail derrière un sachet d’infusion mais j’imagine un peu… Mon métier de comptable influence mon point de vue.
Pour finir, il est indéniable que je ressens pleinement les bienfaits de toutes ces plantes de qualité et j’ai l’impression d’avoir un petit bout des Corbières (que j’adore) avec moi au quotidien ! D’ailleurs chez nous, nous appelons vos infusions “les tisanes de William” 😅
Bonjour,
Merci beaucoup pour ces 4 articles et ces explications 👏👏👏
Je vais bientôt m’installer comme productrice et effective fixer les tarifs est un point primordial…
Oui et l’air de rien, c’est beaucoup de travail !
Trouver l’équilibre n’est pas facile, d’où l’intérêt de bien y réfléchir.
Bon courage pour votre installation !